De Starbucks à Nespresso, les consommateurs paient toujours plus cher leur expresso, alors qu’à l’autre bout de la chaîne, les producteurs de café ont de plus en plus de mal à vivre, sur fond d’effondrement des cours mondiaux de la précieuse graine.
Une crise couve dans les pays producteurs, Colombie, Pérou ou Ethiopie notamment, aux prises avec un cours de la livre de café en baisse continue, au point d’approcher son plus bas en douze ans et demi sur les marchés mondiaux. Et ce malgré le succès des dosettes individuelles dans les pays occidentaux, indique une étude publiée lundi à l’occasion de la journée internationale du café par le cabinet Basic, spécialisé dans le décryptage des chaînes de valeur.
«Début septembre, l’association colombienne pour la dignité des revenus agricoles a appelé les producteurs à la grève, c’était une manifestation symbolique, un refus de vendre, car vendre pour eux, ça devient pire que ne pas vendre», a indiqué, Blaise Desbordes, directeur général de Max Havelaar France, principal organisme certificateur du commerce équitable.
Le cours du café est passé sous la barre des 100 dollars le sac mi-septembre, «un point extrême en dessous duquel les producteurs ne peuvent plus vivre, le seuil de survie étant estimé aux alentours de 130 dollars», ajoute Christophe Eberhart, fondateur de la coopérative Ethicable, spécialisée dans l’importation de café équitable, née en 2003 dans le Gers.
L’ensemble des associations de commerce équitable ont interpellé l’Organisation internationale du café pour «demander l’instauration d’une régulation» pour aider les pays producteurs, ajoute M. Desbordes.
Avec les nouvelles manières de consommer, notamment les dosettes, «les gens ne s’en rendent pas compte, mais ils achètent leur café beaucoup plus cher» dit Christophe Alliot, cofondateur de Basic et auteur de l’étude.
Dualité coca-café au Pérou
Alors qu’un paquet de café arabica moulu de 250 grammes se vend 3 euros en moyenne en France, soit 12 euros le kilo, sous forme de capsule individuelle le kilo de café coûte entre 50 et 60 euros, selon l’étude.
Même en ajoutant 10 à 15 euros pour le surcot d’emballage, «il reste environ la moitié du prix inexpliqué pour les dosettes, soit environ 25 euros le kilo» estime M. Alliot. Un écart qui «ne ruisselle pas du tout jusqu’au producteur», dénonce-t-il.
L’étude met en cause la concentration des torréfacteurs, trois d’entre eux contrôlant 81% du marché mondial de café, Nestlé (Nespresso, Nescafé, Dolce Gusto, Suisse), JDE (L’Or, Maison du café, Tassimo, Jacques Vabre, Maxwell, Allemagne-USA) et Lavazza (Carte Noire, Lavazza, Italie). Mais aussi le poids des gros négociants, dont les noms sont moins connus, comme Neumann, Ecom, Olam, Louis Dreyfus ou Volcafé. Et enfin la précarité des producteurs.
Au Pérou et en Ethiopie, les caféiculteurs ont touché en 2017 «un revenu 20% plus faible qu’en 2005», estime l’étude.
Au Pérou, où 25 à 30% du marché se fait via des coopératives en commerce équitable qui garantissent un prix minimum aux producteurs leur permettant de vivre, «70% du marché se fait via de très gros négociants qui imposent un rapport de force disproportionné», dit M. Alliot.
«Lorsque les prix sont trop bas, les paysans ne peuvent plus faire vivre les systèmes agro-forestiers qu’ils entretiennent, et s’ils abandonnent leurs pratiques, les plantations périclitent», explique M. Eberhard.
«Au Pérou, premier producteur mondial de coca, il y a vraiment une dualité coca-café, ce sont des cultures concomitantes dans le même espace, la chute des cours du café alimente l’attraction pour la coca», prévient-il en rappelant que la coca avait explosé lorsque le café s’était effondré en 1989.
Pour Merling Préza, directrice de la coopérative Prodecoop au Nicaragua, et vice-présidente du réseau de commerce équitable latino-américain, «il faut absolument mieux redistribuer la valeur» vers les producteurs. «Nous avons besoin de l’engagement de l’industrie, mais aussi des consommateurs», a-t-elle dit lors de sa visite à Paris, à l’invitation du réseau Max Havelaar.