Le premier tour des élections a lieu dimanche au Brésil dans un climat très polarisé et un contexte de crises multiples et profondes pour le plus grand pays d’Amérique latine.
C’est dans un climat très tendu que les Brésiliens et les Brésiliennes s’apprêtent à se rendre aux urnes dimanche pour élire président, gouverneurs, députés et deux tiers de leurs sénateurs. Le pays, en proie à des difficultés économiques, a vu se dérouler une campagne électorale inédite, tant par ses rebondissements politico-judiciaires que par sa violence.
Le candidat d’extrême droite peut-il être élu ?
Les sondages le prédisent depuis des semaines : le député Jair Bolsonaro est assuré de se retrouver au deuxième tour, sous l’étiquette de son petit parti, le PSL (Parti social libéral). Mais alors qu’il semblait buter contre un plafond depuis plusieurs semaines, et semblait voué à l’échec au second tour, les études d’opinion publiées ces derniers jours ont vu l’ex-capitaine de l’armée progresser nettement. Il est allé jusqu’à atteindre, dans une étude publiée jeudi, 35% des intentions de vote au premier tour. Un duel très incertain se profile contre le candidat de gauche Fernando Haddad au second.
Si Jair Bolsonaro était élu chef de l’Etat, le Brésil se choisirait pour la première fois un président d’extrême droite, chantre de la dictature (1964-85) et apologue de ses tortionnaires. Augusto, ancien parachutiste brésilien, illustre bien comment ce discours peut plaire à l’opinion, lui-même minimisant au micro d’Europe 1 la portée de l’ancienne dictature. « Au Brésil, ça n’était pas une dictature, en tout cas pas à 100% comme ailleurs », assure-t-il. « On avait un contrôle fort de l’armée, c’est tout. Ceux qui travaillaient et remplissaient leurs obligations n’ont eu aucun problème. »
Le parti de gauche de Lula peut-il revenir au pouvoir ?
La candidature de l’ex-président Luis Inacio Lula da Silva, emprisonné pour corruption, ayant été invalidée, son remplaçant, Fernando Haddad, ex-maire de Sao Paulo, a fortement progressé dans les intentions de vote après son entrée tardive en campagne le 11 septembre. À la tête du Parti des Travailleurs (PT), Fernando Haddad est apparemment assuré d’aller au deuxième tour (22% des intentions de vote), pour un duel serré avec Jair Bolsonaro. Il semblerait toutefois moins apte à pouvoir l’emporter que le candidat de centre gauche Ciro Gomes (PDT), mais celui-ci n’est donné que 3e à l’issue du 1er tour (11%).
Si Fernando Haddad était élu président, le PT remporterait sa 5e présidentielle consécutive depuis 2002, après les élections de Lula (2002 et 2006) puis de sa dauphine Dilma Rousseff (2010, 2014). Le président sortant Michel Temer (MDB, centre droit) avait accédé au pouvoir après la destitution de Dilma Rousseff, dont il était le vice-président. Fernando Haddad est confronté à un fort sentiment anti-PT, une grande partie de l’électorat estimant que 13 ans de règne pétiste ont semé les germes de tous les maux dont souffre aujourd’hui le Brésil. Pour Celso Luiz Nunes Amorim, ancien ministre des Affaires étrangères de Lula, le raisonnement de nombreux Brésiliens est simple : « Il n’y a plus de moralité en politique, tous les partis sont corrompus, [donc] on veut une personnalité autoritaire. Comme avec Hitler. »
Pourquoi cette campagne a-t-elle été inédite ?
Lula, qui était grand favori bien qu’en prison pour corruption depuis avril, a finalement été écarté de la course en août après des mois de rebondissements politico-judiciaires. Le brouillard autour de la candidature ou non-candidature de Lula a fait pendant des mois de ce scrutin le plus incertain des temps modernes au Brésil. Par ailleurs, celui qui est devenu ensuite le favori du 1er tour, Jair Bolsonaro, a frôlé la mort après avoir été poignardé à l’abdomen le 6 septembre lors d’un bain de foule. Hospitalisé plus de trois semaines, il n’a plus pu faire campagne dans la rue.
Quel est l’impact sur le scrutin de la corruption ?
Il reste limité. À part Lula, écarté pour corruption, la majeure partie de l’élite brésilienne mise à l’index par la justice devrait rester aux commandes. Les grands caciques régionaux seront réélus. Ou leurs enfants. En ce sens, l’enquête gigantesque « Lava jato » (Lavage express), si elle a permis de mettre en cause (et même parfois d’incarcérer) des dizaines de responsables de quasiment tous les partis, n’a pas révolutionné la pratique de la politique au Brésil.
Quelle attitude des marchés au lendemain du 1er tour ?
L’arrivée au pouvoir de Bolsonaro serait pour eux acceptable, même si celui-ci a avoué son incurie en économie. Il a déjà désigné son « super ministre de l’Economie », Paulo Guedes, un « Chicago boy » ultra-libéral. En revanche, les marchés ne veulent pas du retour de la gauche avec Haddad, qui n’a pris aucun engagement en faveur de réformes destinées à assainir les comptes publics.
Quels défis majeurs pour le prochain président ?
Celui qui remportera l’élection présidentielle aura pour tâche de donner un sérieux coup de fouet à une économie qui ne redémarre pas après deux années de récession historique (2015-2016) et compte près de 13 millions de chômeurs. Il lui faudra aussi enrayer la spirale de la violence armée, autre préoccupation majeure des Brésiliens, avec la santé, l’éducation et le logement. Autant de secteurs qui manquent cruellement d’infrastructures et de moyens.